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Louis et Margot sillonnent les routes du monde à deux depuis plus de huit ans. Ils réalisent depuis septembre 2020 un tour du monde en auto-stop et à vélo. Grâce à leurs pouces bien déterminés et un total de 1542 conducteurs et capitaines, ils ont déjà parcouru plus de 76.300 kilomètres uniquement en stop à travers l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie centrale puis l’Asie. Puis, c’est avec deux bicyclettes qu’ils se dirigent désormais vers l’Océanie et les Amériques. Leur péché mignon: partir à la découverte de pays souvent méconnus, comme l’Irak, l’Iran, le Soudan, le Tadjikistan, l’Arabie saoudite ou encore le Pakistan.
Coincé entre l’Afghanistan, l’Iran, l’Inde et la Chine, le Pakistan souffre d’une mauvaise réputation. Nos journaux parlent de terrorisme, d’attentats, de misères, de burqas et de talibans. Il suffit pourtant de poser un pied au « Pays des Purs », pour se rendre compte que celui-ci ne doit évidemment pas se résumer à cela. Avec ses terres qui s’étendent à plus de 800.000 kilomètres carrés et ses 240 millions d’âmes, le Pakistan est avant tout une mosaïque de peuples, de langues, de cultures, de religions et de paysages.
Cet État est d’ailleurs bien plus complexe et paradoxal qu’il n’y paraît. Pour ne citer qu’un exemple, ce pays patriarcal est le premier État musulman à avoir conféré le poste de premier ministre à une femme.
Atteindre cet endroit hors du temps est une aventure en soi. Pour y parvenir, il vous faudra remonter une route légendaire menant jusqu’à la frontière chinoise : la Karakoram Highway.
Et, croyez-nous, rien de mieux que l’auto-stop et la marche pour affronter cette route mythique ! Une levée de pouce vous donnera une bonne dose d’aventure, un flot de rencontres humaines, ainsi qu’une imprégnation totale dans la culture pakistanaise. Qu’ils soient Pendjabis, Pachtounes, Sindis, Baloutches, Wakhis ou encore Baltis, nul doute que vos conducteurs sauront vous partager avec passion un bout de leurs histoires, vies, rêves et espoirs.
Vous entendrez probablement dix fois par jour la phrase « You’re my guest » et devrez répondre aussi souvent à la sempiternelle question « Do you like my Pakistan ? ». Les invitations seront aussi nombreuses que les litres de thé ingurgités. Alors, prêt pour un voyage au cœur de l’humanité ?
Après avoir sillonné l’extrême nord du Pakistan pendant plus d’un mois, à bord de 86 voitures et camions mais encore à la marche, nous vous partagerons dans cet article le récit de nos aventures et rencontres (II), et vous donnerons quelques conseils (III) pour vous lancer le long de la Karakoram Highway (I), route de l’impossible et porte d’entrée du « Joyau » Pakistanais.
I. L’HISTOIRE DE CETTE ROUTE MYTHIQUE
La route du Karakoram (« Karakoram Highway », ou encore « KKH ») est une route transfrontalière de 1.300 kilomètres reliant la Chine au Pakistan, et franchissant le point de passage frontalier le plus élevé au monde, le col de Khunjerab à 4.693 mètres d’altitude.
Cette route a été construite stratégiquement par les armées pakistanaise et chinoise à travers le massif montagneux du Karakoram entre 1966 et 1978. La route est considérée pour beaucoup comme un véritable exploit technique, les ouvriers et militaires ayant dû creuser dans un environnement des plus hostiles et au travers de montagnes colossales, de gigantesques glaciers, de torrents déchaînés et de précipices vertigineux. Cette construction, faite dans des conditions climatiques chaotiques à coup de bulldozers et de dynamites, a entraîné la mort de 810 ouvriers pakistanais et 200 ouvriers chinois.
Aujourd’hui, la route du Karakoram remplace ou longe certains tronçons de l’ancienne route de la soie. L’asphalte a remplacé la terre. Des camions formidablement pimpés, et remplis de marchandises, ont succédé aux caravanes. Mais l’émerveillement reste intact.
II. LE RÉCIT DE NOS AVENTURES EN STOP ET À PIED SUR LA ROUTE DU KARAKORAM
1. De Lahore à Balakot
C’est sur le bord de route de Lahore que notre aventure pakistanaise débute. Notre objectif est de rejoindre en une journée la région autonome du Gilgit-Baltistan, dans le nord du pays. Sur les 850 kilomètres qui nous attendent, dont la moitié sur des routes sinueuses, nous n’en parcourrons finalement que 530…. Le trajet est long et épuisant. Nous grimpons dans une dizaine de voitures et de camions. Parmi nos conducteurs se trouvent des Pakistanais mais aussi deux expatriés Chinois avec qui nous partageons 300 kilomètres de passionnantes discussions sur la géopolitique et la position de la république populaire de Chine concernant Hong Kong, Taïwan, les Ouïghours, la guerre russo-ukrainienne, la démocratie, les dictatures… Même si nos avis divergent, le débat se révèle particulièrement intéressant !
Nous sommes aussi contraints d’expliquer notre projet de tour du monde en stop à de multiples officiers de police…
En effet, à l’approche de chaque barrage policier, deux situations se présentent : soit nous arrivons par chance à passer inaperçus et notre conducteur peut alors poursuivre sa route, soit les agents en uniforme nous demandent de sortir du véhicule pour enregistrer les informations de nos passeports, nous demander notre itinéraire (la procédure habituelle pour chaque voyageur) et nous font alors perdre un temps monstrueux, nous obligeant bien souvent à trouver un prochain conducteur…
Heureusement, l’attente est toujours compensée par quelques tasses de thé et de biscuits offerts, ainsi qu’une session photo réclamée par l’agent de police lui-même !
Cette première journée le long de la route du Karakoram est fascinante. La chaleur humide de Lahore a laissé place au froid. La route se resserre au fil des kilomètres. Et l’on observe déjà des villages pittoresques, des montagnes abruptes et des bergers accompagnés de leurs troupeaux. En fin de journée, nous arrivons au village de Balakot. Ici, les marchands de fruits nous offrent des bananes. Les pâtissiers nous chérissent de biscuits. Tous nous répètent avec douceur « Welcome to Pakistan ».
2. De Balakot à Gilgit
Notre deuxième journée commence à bord du break d’Aslam. Ensemble, nous longeons la vallée de Kaghan et ses montagnes forestières peuplées d’ours. Les villages que nous traversons ont été ravagés par les violents torrents dûs aux récentes pluies dans le nord du pays. L’eau à transporté des tonnes de rochers, transformant complètement le lit de la rivière, remplissant les profonds canyons, emportant les ponts métalliques et effondrant les habitations. Dans une poussière blanche pénétrant les narines, les habitants sont affairés à déblayer, nettoyer et reconstruire ce que la rivière a partiellement épargné.
Aslam nous dépose au village de Naran, puis nous invite à déjeuner dans un restaurant où l’un de ses amis, un journaliste, nous improvise une interview pour la télévision locale et nous questionne sur nos premières impressions du Pakistan en auto-stop.
On se prête rapidement au jeu ! La générosité d’Arslan, notre conducteur, ne s’arrête pas là.
Ce dernier insiste ensuite pour nous installer gratuitement dans la « Government Rest House » du village (une sorte d’hôtel gouvernemental) en nous répétant, toujours et encore, la fameuse phrase « You are my guests!« .
Les Pakistanais n’ont décidément pas volé leur belle réputation de pays le plus accueillant au monde. Une générosité qui nous rappelle forcément celle des Soudanais ou encore des Iraniens.
Après une bonne nuit dans la plus chic des chambres de la Rest House, nous continuons notre route vers le nord.
Nous passons le col de Babusar à 4.173 mètres, frontière naturelle entre le Khyber Pakhtunkhwa et le Gilgit-Baltistan, depuis lequel nous apercevons au loin les sommets Rakaposhi et Nanga Parbat qui dominent les autres pics avec leurs 7.788 mètres et 8.126 mètres d’altitude.
Ces hautes montagnes font barrière aux pluies de mousson, et le paysage change drastiquement. Les versants perdent leur végétation pour laisser apparaître une roche ocre, grise ou rose. Seuls les ruisseaux irriguent la terre des villages dont les arbres fruitiers commencent tout juste à se parer de leur manteau d’automne.
C’est enfin dans la petite voiture de Rehmat que nous arrivons à Gilgit. Ce dernier, qui travaille pour la conservation de la faune piscicole, nous invite à venir voir sa ferme de truites. Épuisés par la route, nous déclinons poliment l’invitation et la repoussons à plus tard.
3. La vallée de Hunza
Nous nous enfonçons dans la vallée de Hunza. Les montagnes se dressent à mesure que nous avançons, les pouces levés, le long de la Karakoram Highway. Sur notre route, nous passons quelques jours à Karimabad, connue à l’époque pour son trafic d’esclaves et pour être un arrêt incontournable pour les caravanes.
Cette ville a servi de capitale de la vallée de Hunza pendant plus de 750 ans, jusqu’au milieu du vingtième siècle. Nous partons aussi explorer pendant trois semaines les villages wakhis du nord du Pakistan. Les hameaux de Gulmit, Gulkhin et Passu deviennent nos nouveaux refuges.
Notre quotidien se résume alors à marcher de longues heures dans les ruelles de ces villages pittoresques, à emprunter des chemins abruptes nous menant à des vallées enchanteresses, d’immenses glaciers et des ponts suspendus, puis à nous lier d’amitié avec les habitants, les marchands, les voyageurs de passage, et les restaurateurs du coin.
Nos voisins, qui récoltent les fruits pour les faire sécher sur les toits, nous offrent des kilos de pommes. Les tisseuses nous invitent à boire le thé. Puis nous prenons l’habitude de retrouver chaque soir notre ami cuisinier Ahmed Ali Khan dans son restaurant « Glacier Breeze », où l’on discute de la culture wakhi en se régalant de toutes sortes de spécialités à l’abricot (des pâtes, des gâteaux, du riz ou encore du poulet).
Son restaurant est un véritable lieu de rencontre. On y écoute les voix pleines d’espoir de certains Pakistanais engagés, activistes et féministes. Le mode de vie des habitants de la vallée de Hunza est très simple. Tous les enfants sont éduqués et vont à l’école jusqu’au lycée. Ici, le taux d’alphabétisation est d’ailleurs supérieur à 95 %.
Notre séjour dans cette vallée est pour nous l’occasion de retrouver un peuple que nous aimons profondément, les Wakhis, ces bergers originaires du Pamir que nous avons côtoyés pendant plusieurs semaines dans la vallée du Wakhan au Tadjikistan.
Nous retrouvons leur douceur, leur foi ismaélite (un courant de l’Islam chiite), leurs culture et leurs traditions ancestrales. Ici, les hommes et femmes se partagent les travaux quotidiens, et prient ensemble dans les lieux communautaires appelés « Jamat khana ». L’artisanat local, dont le tissage de tapis en laine de yak et de mouton, est pratiqué depuis des siècles et transmis de génération en génération dans les familles.
De même que leur amour pour la musique et la poésie. Les femmes portent élégamment des chapeaux ornés de perles et recouverts d’un léger voile blanc transparent. Les cornes d’Ibex décorent l’entrée des maisons. Dans chaque pièce à vivre se trouve le portrait du chef spirituel très respecté des ismaélites, le Prince Karim Aga Khan IV. Et les plats sont cuisinés avec de l’abricot à toutes les sauces !