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Louis et Margot sillonnent les routes du monde à deux depuis plus de huit ans. Ils réalisent depuis septembre 2020 un tour du monde en auto-stop et à vélo. Grâce à leurs pouces bien déterminés et un total de 1542 conducteurs et capitaines, ils ont déjà parcouru plus de 76.300 kilomètres uniquement en stop à travers l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie centrale puis l’Asie. Puis, c’est avec deux bicyclettes qu’ils se dirigent désormais vers l’Océanie et les Amériques. Leur péché mignon: partir à la découverte de pays souvent méconnus, comme l’Irak, l’Iran, le Soudan, le Tadjikistan, l’Arabie saoudite ou encore le Pakistan.
Loin de la frénésie urbaine de Delhi, du chaos déchaîné de Calcutta, du mysticisme de Varanasi ou des dunes de sable dorées du Rajasthan, le Ladakh est un monde à part. Coincé entre le Pakistan et la Chine, il figure parmi les régions les plus isolées et spectaculaires de la planète. Cet ancien royaume himalayen, perché à une altitude moyenne de 5.300 mètres, est l’Inde comme on ne l’imagine pas. C’est ici que des vallées profondes, entourées de sommets enneigés, sont parsemées de lacs et de monastères majestueux, que des drapeaux à prières volent au contact du vent, et que l’on rencontre une population majoritairement bouddhiste aux traditions ancestrales, les Ladakhis. C’est ici que des moines se regroupent chaque matin pour une puja, un rituel d’offrande au cours duquel ils chantent et récitent des textes sacrés, que le amchi (médecin traditionnel) concocte des médicaments à base de plantes et de pierres précieuses pilées, et que l’on porte des parures d’argent et des robes de laine doublées de soie. C’est encore ici que l’on trouve, au cœur de montagnes désertiques, les Brokpas, un peuple arborant d’impressionnantes coiffes ornées de fleurs et se disant descendant direct des soldats d’Alexandre le Grand. C’est enfin ici que les hivers sont parmi les plus froids, et la ferveur religieuse parmi les plus enflammées.
Comme vous pouvez l’imaginer, le chemin vers ce bout du monde est un véritable périple. Pour y parvenir, il vous faudra remonter une route aussi légendaire que difficile de 480 kilomètres sur la Transhimalayenne, la route Manali-Leh. Bien connue des motards intrépides en Royal Enfield, des cyclistes chevronnés et des courageux camionneurs n’ayant pas peur des précipices vertigineux, cette route n’est ouverte que deux mois dans l’année et franchit quatre cols majeurs, dont deux à 5.303 et 5.065 mètres d’altitude. Et pour affronter cette route mythique, rien de mieux que l’auto-stop et la marche ! Après des dizaines de kilomètres à pied au cœur d’une nature déconcertante, une levée de pouce vous donnera une dose d’aventure, un flot de rencontres humaines, ainsi qu’une imprégnation totale dans la culture de vos conducteurs, des locaux mais encore des touristes indiens de régions lointaines, qui auront à cœur de vous parler de leur traditions.
Après avoir sillonné le nord de l’Inde en auto-stop, à bord de 159 voitures et camions mais encore à la marche, nous vous partagerons dans cet article le récit de nos aventures sur la célèbre route Manali-Leh (II), et vous donnerons quelques conseils (III) pour vous lancer le long de cette route de l’impossible et porte d’entrée du « Petit Tibet » (I).
I. LA ROUTE TRANSHIMALAYENNE RELIANT MANALI À LEH
La route reliant Manali, dans l’État de l’Himachal Pradesh, à Leh, la capitale du Ladakh, est une autoroute de 473 kilomètres située à l’extrême nord de l’Inde, construite et entretenue par la Border Roads Organisation de l’armée indienne. Traversant une série de hauts cols himalayens, cette route n’est généralement ouverte que de juin à septembre. En dehors de cette période, les chutes de neige recouvrent totalement la route. Perpétuellement en travaux, la route ne cesse de s’améliorer sur certaines portions tandis que d’autres se détériorent jour après jour au rythme des gels et dégels.
Il s’agit de l’une des plus hautes routes du monde, offrant des paysages de montagnes et de plateaux d’altitude à couper le souffle, mais aussi l’une des plus dangereuses de la planète. Dans le précipice, les carcasses de voitures et de camions sont nombreuses.
Les véhicules qui empruntent cette route carrossable sont le plus souvent des camions TATA très lents (célèbre marque indienne), qui approvisionnent la région du Ladakh en produits de première nécessité (denrées alimentaires et fuel) au prix de deux jours de trajet périlleux. Puis, il y a aussi des ouvriers locaux, des voitures conduites par des locaux, des 4×4 gouvernementaux, des militaires reliant la région voisine du Cachemire très conflictuelle, et des touristes indiens aisés en quête de sensations fortes ! La route étant sinueuse, étroite et en mauvais état, les bouchons y sont fréquents.
II. LE RÉCIT DE NOS AVENTURES EN STOP ET À PIED SUR LA ROUTE MANALI-LEH
1. Sur la route de Manali
L’expédition débute par la traversée de l’Himachal Pradesh, sur les contreforts de l’Himalaya, avec sa végétation luxuriante et ses montagnes pittoresques.
Plus nous nous enfonçons dans les villages et prenons de l’altitude, et plus l’auto-stop est un jeu d’enfants. Il nous mène dans la voiture gouvernementale « top confort » de Rajesh. Dans un bus dont le chauffeur insiste pour nous prendre en stop en « l’honneur de l’amitié franco-indienne« . Dans le 4×4 du Colonel Sharan, un sikh ayant combattu dans la zone frontalière tendue du Cachemire et qui nous parle sans complexe de son mariage arrangé suite à l’annonce (ou plutôt l’appel à prétendants) déposée par la famille de son épouse dans le journal local. Dans la vieille bagnole de Mohammed, un musulman Indien qui nous confie son désarroi quant à l’avancée du nationalisme hindou sous l’impulsion du gouvernement de Narendra Modi et la banalisation des discriminations à l’égard des musulmans. Puis, enfin, dans la caisse de trois jeunes sikhs plein d’énergie, Bikram, Jagjit et Sukhveer, starlettes dans le milieu du bhangra, un style de danse et de musique indienne provenant de leur région, le Pendjab.
Après plusieurs journées où nous alternons l’auto-stop et la marche, nous sommes enfin déposés à Manali, point de part de notre expédition jusqu’au Ladakh via la Transhimalayenne.
Cette petite ville, entourée de forêts de pins et de cèdres, a des airs de station de ski alpine. C’est aussi le point de départ de nombreux circuits de randonnée dans les vallées attenantes. Ici, les céréales et quelques autres légumes sont cultivés en terrasse, et les fruits sèchent sur les toits. Les ruelles paisibles abritent d’étonnantes anciennes maisons en bois, La région est également un point de rendez-vous des hippies du monde entier : c’est le berceau du chanvre indien.
2. De Manali à Sarchu
Nous débutons notre journée à la marche, puis avançons le long de cette route interminable en grimpant dans des bagnoles pimpantes ou décrépites. Les chauffeurs de poids-lourd Indiens nous ouvrent aussi volontiers les portes de leurs beaux carrosses. Avec des yeux de gamins, nous découvrons alors l’intérieur kitsch de ces camtars époustouflants. De véritables œuvres d’art roulantes ! À l’intérieur de ces musées mobiles, nous trouvons des figurines de divinités, des symboles de chance, des slogans humoristiques, des pompons et collages, des clichés photographiques ou encore des posters de pop culture. Un régal pour les yeux !
Rapidement, les grandes forêts de cèdres et les vergers de pommiers disparaissent pour laisser place à des pentes rocheuses dénudées de toute végétation et coiffées de glaciers d’un blanc immaculé qui fondent en fines cascades. Les temples hindous des bords de route sont remplacés par des moulins à prières et des stupas bouddhiques enroulées de centaines de drapeaux multicolores volant au vent jusqu’à dégradation.
Nous atteignons en fin de matinée la vallée de Keylong, une ville d’un peu plus de 14.000 habitants perchée à plus de 3.000 mètres d’altitude et totalement coupée du monde entre novembre et avril en raison des fortes chutes de neige. Nous buvons un « masala chaï » (thé indien au lait et aux épices), déjeunons dans un boui-boui, et poursuivons notre route.
Il va bientôt faire nuit lorsqu’un dernier camion nous dépose à Sarchu, une sorte de camp de transit à 4.300 mètres d’altitude où l’on trouve quelques gargotes et des campements pour la nuit. Épuisés, nous plantons notre tente au milieu de ce paysage lunaire. Au milieu de la nuit, le mal d’altitude se fait sentir. Nos rythmes cardiaques s’accélèrent et les premiers maux de tête apparaissent. Et nous ne sommes apparemment pas les seuls. Au réveil, nous découvrons une ribambelle de touristes indiens voyageant à moto, vomissant en ligne en se tordant littéralement le ventre. Certains d’entres eux devront faire demi-tour.
3.De Sarchu à Thiksey
Nous rangeons rapidement la tente, avalons deux thés brûlants pour nous réchauffer, puis tendons le pouce en direction de Leh. Louis reste très affaibli par l’altitude. Il va donc falloir trouver rapidement un conducteur. Après cinq minutes d’attente, miracle. Nous voilà dans la petite bagnole de l’adorable Arajzen, un Ladakhi qui se rend à Leh. Au total, plus de six heures de route sinueuse nous attendent avec Arajzen. Six heures à écouter ses passionnants récits et histoires de famille, comme celle de son père qui, à l’époque où la route n’existait pas, marchait un mois et 20 jours accompagné de son âne entre son Ladakh reculé et la ville de Manali, le long du chemin de montagne visible au loin depuis la vitre du véhicule. Six heures à s’extasier face à la grandeur de cet Himalaya majestueux. Six heures à traîner Louis, d’un pâle cadavérique, hors de la voiture pour quelques photos sur les plus hauts cols routiers du monde. Six heures à observer, au cœur de cette nature hostile et presque irréelle, le moindre mouvement… Celui de quelques grands bharals, et d’une trentaine de chevaux sauvages. Six heures de retrouvailles avec cette sensation que nous ressentions quelques mois auparavant dans l’immense Pamir du Tadjikistan : une liberté absolue.
Après deux jours passés sur la Transhimalayenne, nous posons enfin les pieds au Ladakh. Ce nouvel État appartenait jusqu’en 2019 à l’Etat du Jammu-et-Cachemire. Notre ami Arajzen nous dépose au célèbre monastère de Thiksey, situé à 3.600m d’altitude et à une vingtaine de kilomètres au sud de Leh. Ce superbe monastère recouvre tout le flanc d’une colline rocheuse surplombant la haute vallée de l’Indus. Les maisons blanches des moines s’étalent en escaliers jusqu’en haut de la colline où est accroché le sanctuaire d’où retentissent, à l’heure de la prière matinale, les trompes et conques tibétaines.
Le monastère de Thiksey appartient à la tradition Gelugpa, appelée aussi « école des bonnets jaunes », la plus récente des quatre écoles bouddhiques et dont est issu l’actuel Dalaï-lama. Il est connu pour sa ressemblance avec le Palais du Potala de Lhassa, au Tibet. Maitreya, prochain Bouddha à venir, y est célébré : un temple et une immense statue de 15 mètres de hauteur y ont été érigés en son honneur. Aujourd’hui, Thiksey abriterait une soixantaine de moines.
Après une nuit dans une maison d’hôtes pour quelques roupies, nous nous réveillons à l’aube et grimpons la centaine de marches qui nous hissent jusqu’au monastère. Et le moins que l’on puisse dire est que le jeu en vaut largement la chandelle ! Nous voilà entourés de moines récitant leur Kagyur, ponctuant leurs prières de quelques souffles de trompes, de coups de cloches et de conques, et de quelques gorgées de thé au lait salé.
4. De Thiksey à Leh
Les 48h suivantes se résument ainsi : une consultation expéditive à Leh pour mal d’altitude, et du repos dans l’un des hôtels les plus crados que l’on aura dégoté depuis le début du voyage. Deux jours plus tard, nous partons enfin explorer la capitale du Ladakh, perchée à 3.500 mètres d’altitude et surplombée par un palais et un monastère bouddhique.
Cette jolie ville est remplie de trekkeurs des quatre coins du monde, de riches familles indiennes attirées par les décors de films Bollywoodiens à succès, mais encore d’israéliens, si bien que l’on entend parler hébreu dans toute la ville où les cartes des restaurants affichent… du houmous. Les auberges et guesthouses y poussent comme des champignons. Entre deux boutiques de souvenirs, Ies Ladakhis accueillent les visiteurs avec de grands sourires et des « Jullay ! Jullay ! » (une sorte de mot magique signifiant « bonjour », « merci » ou encore « au revoir »). Pas étonnant lorsqu’on sait que le tourisme assure à lui seul 40 à 50% du PIB au Ladakh. Les centaines de chiens errants dans les ruelles sont quant à eux bien moins accueillants.
Nous espérons que la première partie de l’article vous a plu et vous donne des idées pour découvrir l’Inde. N’hésitez pas à suivre @onemaps2bags, sur leurs réseaux sociaux pour plus d’aventures !