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Article rédigé par Louis et Margot, en pleine réalisation d’un tour du monde en auto-stop et à vélo et sur la route depuis quatre ans sans interruption.
Si les musulmans chiites et sunnites représentent la majeure partie de la population d’Irak, ils cohabitent avec plusieurs minorités ethniques et religieuses. Parmi elles se trouve les Yézidis, une communauté monothéiste kurdophone comptant entre 100.000 et 600.000 personnes, considérée comme l’un des peuples les plus méconnus du Moyen-Orient. Ils sont les descendants de l’une des plus anciennes populations de la Mésopotamie, leur croyance étant apparue il y a plus de quatre mille ans. Adorateurs du diable pour les uns, païens pour les autres, les yézidis sont aujourd’hui persécutés, presque voués à l’exil.
Au cours de notre périple à sillonner le nord de l’Irak à pied et en auto-stop, nous sommes partis à la rencontre de cette communauté maudite et oubliée de l’Histoire. Notre apprentissage de cette culture si complexe s’est fait au gré de nos conducteurs Yézidis, mais encore dans leur lieu le plus sacré. Rites millénaires, prières en direction du soleil, serpents et cornes de boucs. Bienvenue dans le monde fascinant des Yézidis.
1. QUI SONT LES YÉZIDIS ?
Les Yézidis, une minorité ethnique et religieuse ancestrale, ont leurs racines en Mésopotamie où leur foi aurait pris forme il y a plus de 6.000 ans. Bien que la majorité réside dans la région du Kurdistan irakien, une importante diaspora s’est établie en Europe, principalement en Allemagne (où près de 40.000 Yézidis vivent), ainsi qu’en Amérique du Nord.
Malgré des liens linguistiques et des ancêtres communs avec les Kurdes, majoritairement musulmans, certains Yézidis rejettent leur assimilation au peuple kurde, revendiquant leur identité en tant que groupe ethnique distinct. Leur communauté, fermement endogame, réserve le mariage aux membres de leur propre foi. Ceux qui épousent des non-Yézidis sont expulsés de leur famille et ne sont plus autorisés à se prétendre Yézidis. La raison est simple : leur foi ne se transmet que par le sang, de sorte que personne ne peut se convertir au yézidisme.
Sur le plan socio-économique, les Yézidis d’Irak occupent souvent les strates les plus défavorisées de la société, exerçant principalement des métiers agricoles et d’élevage. En 2011, une grande partie des habitants de leur bastion, le Sinjar, étaient analphabètes. La société Yézidie se structure en trois castes distinctes : les laïcs (murid), les clercs (pir) et les chefs tribaux (cheikh). Traditionnellement, ces castes sont soumises à l’autorité d’un chef politique, le prince (mir), et d’un leader religieux (Baba Cheikh). Actuellement, c’est le conseil spirituel, composé de l’élite du clergé, qui dirige la communauté.
2.QUELLES SONT LEURS CROYANCES ?
Le « yézidisme » est une foi monothéiste qui s’inspire en partie du zoroastrisme, la religion de la Perse antique. Les fidèles de cette religion croient en un dieu unique, Xwedê, qui aurait créé le monde et confié sa garde à une Heptade de sept êtres saints, souvent connus sous le nom d’anges ou heft sirr (les sept mystères). Le plus important est Malek Taus, l’ange paon, symbole de diversité, de beauté et de pouvoir. Considéré comme le médiateur entre Xwedê et l’humanité, Malek Taus est au cœur des croyances yézidies.
La transmission de la foi yézidie se fait principalement de manière orale, bien que des écrits comme « Le Livre de la Révélation » et « Le Livre noir » aient été compilés au début du XXe siècle par des non-Yézidis et regroupent aujourd’hui l’ensemble de leurs traditions. Pour eux, la vie est un voyage ponctué de rituels et de cérémonies symboliques représentant différents stades de la vie du fidèle. Ainsi se succèdent le rite de la coupe de cheveux, celui du baptême, de la circoncision, du frère de l’au-delà, du mariage et des funérailles. Dans leurs lieux de culte, qu’il s’agisse de grottes sacrées ou de vastes plaines, les Yézidis prient tournés vers le soleil, pratiquent des rites avec du feu (la lumière étant la principale manifestation de la divinité), vénérent les astres, sacrifient des taureaux et honorent des statuettes d’animaux sacrés comme le serpent noir.
Dans leur quotidien, les Yézidis se plient à diverses restrictions. Tout d’abord, ils ont l’interdiction de consommer du porc, une pratique partagée avec les Juifs et les Musulmans. Leur régime alimentaire exclut également certains aliments plus surprenants comme le coq, le poisson, la gazelle, et même certains légumes jugés impurs.
De plus, les quatre éléments (terre, air, feu et eau) sont soumis à des règles strictes. Cracher sur l’eau, le feu ou la terre est un tabou absolu. Le feu, lui, ne peut être éteint que par la terre, et non par l’eau, tandis que boire de l’eau exige une attitude respectueuse du précieux liquide : un Yézidi ne peut même pas se gargariser avec. Toutes ces prohibitions puisent leurs racines dans le zoroastrisme, contribuant ainsi à façonner leur mode de vie unique.
3.POURQUOI LES YÉZIDIS SONT MENACÉS ?
Au fil des siècles, les Yézidis ont été victimes de persécutions. Cette stigmatisation trouve ses racines dans le Moyen Âge, lorsque des érudits musulmans, juifs et chrétiens ont cru reconnaître Satan en Melek Taus, l’ange paon vénéré par les Yézidis. Malgré des pratiques et des restrictions qui peuvent sembler étranges aux yeux extérieurs (comme les rituels impliquant le feu, la décoration de leurs temples avec des statues de serpents, ou même l’interdiction de consommer de la laitue), il est évident que les Yézidis ne sont en aucun cas des adorateurs de Satan. Leur foi, bien que souvent mal comprise, est en réalité empreinte de profondeur et de spiritualité. De plus, leur tendance à garder leur religion discrète n’a fait qu’alimenter les rumeurs et les accusations infondées à leur encontre. Cette discrétion a malheureusement contribué à perpétuer les calomnies et les malentendus autour de leur foi millénaire.
Sous le régime de Saddam Hussein, leur communauté a été confrontée à des déplacements forcés et à des tentatives d’assimilation, marquées par la création de dizaines de villages arabes sur leur territoire. Même l’ajout dans la constitution irakienne de 2005 du droit pour la communauté yézidie de pratiquer librement son culte n’a pas suffi à protéger ses membres des persécutions par l’État islamique. En 2014, les Yézidis ont été victimes d’un terrible massacre perpétré par les djihadistes, une tragédie qui a conduit à la reconnaissance officielle du terme « génocide » par l’Allemagne et le Royaume-Uni en 2023. Près d’un tiers de leurs lieux saints ont été détruits, effaçant ainsi une part importante de leur histoire et de leur identité spirituelle.
4.LALESH, LE LIEU SACRÉ DES YÉZIDIS
Notre voyage en auto-stop dans le nord de l’Irak nous a conduit sur les chemins sinueux du Bahdinan jusqu’au village envoûtant de Lalesh, niché à une cinquantaine de kilomètres au nord de Mossoul. Situé au cœur d’un paysage montagneux, ce lieu sacré est entouré par les majestueux monts Erefat, Meshet et Hezret.
Comme le plus souvent en Irak, c’est un Peshmerga (un combattant kurde d’Irak) du nom de Nejia, pantalon treillis militaire et fusil mitrailleur à l’arrière du véhicule, qui nous a d’abord pris en stop. Déposés à quelques bornes de Lalesh, nous avons ensuite grimpé dans la voiture d’une famille yézidie qui nous a alors guidés jusqu’au sanctuaire dédié au Cheikh Adi ibn Musafir, précieusement gardé de génération en génération.
À notre arrivée à Lalesh, nous avons été immédiatement frappés par la pittoresque beauté qui imprègne chaque ruelle de ce village ancien. Déambulant pieds nus sur les pavés usés, notre regard s’est rapidement égaré entre les murs de pierre ancestraux, les dômes ornés de motifs solaires et les représentations majestueuses de l’Ange-Paon, Xwedê, incarnation suprême de leur divinité. Malgré les tumultes de l’histoire, ce lieu a miraculeusement échappé aux ravages de l’État islamique dans les années 2010, accueillant même plusieurs communautés yézidies en quête de refuge.
Le sanctuaire du Cheikh Adi ibn Musafir, niché au cœur de ce décor enchanteur, transporte dans un autre temps. Dans ses salles et ses grottes mystérieuses, des tissus noués à des colonnes témoignent des vœux pieux formulés par les pèlerins.
Bien que les Yézidis soient souvent décrits comme discrets, voire inaccessibles, nous avons été chaleureusement accueillis par plusieurs familles rencontrées tout au long de la journée. Au détour des ruelles pavées, des échanges spontanés se sont engagés, se prolongeant parfois de longues heures. Une famille nous a ainsi invités à partager un repas pour célébrer la « biska pora », un rituel ancestral marquant la première coupe de cheveux d’un jeune garçon. Une autre nous a aussi conviés à partager une tasse de thé près d’une grotte où se déroulait un baptême.
À Lalesh, le temps semble s’écouler à un rythme différent. Nous avons passé des heures à observer les fidèles se livrer à leurs rituels avec une dévotion palpable. Chaque geste semblait chargé de sens, chaque prière murmurée avec ferveur. Profondément symbolique dans la croyance yézidie, le rituel consistant à embrasser le serpent noir à l’entrée du temple est l’un des plus mal compris. Ce reptile, capable de se régénérer par la mue, incarne pourtant la renaissance et la sagesse, loin de toute connotation diabolique.
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