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Avez-vous déjà découvert un paysage de rêve au travers d’un cliché Instagram ? Quelle a été votre réaction ?
Il y a fort à parier qu’une partie de vous a eu envie de s’y téléporter là, maintenant, tout de suite, et qu’une autre a envisagé d’y aller en vacances pour voir cette photo de vos propres yeux.
Nous avons toutes et tous, à des intensités différentes déjà éprouvé cette vision du voyage comme une bucket-list d’endroits à « faire ». Après tout, voyager est la concrétisation d’un désir de découverte, de satisfaction de sa curiosité, et de comparaison entre ce qu’on a fantasmé et la réalité.
Mais cette logique de « consommation » de paysages présente des effets pervers que nous avons hélas pu constater lors d’une excursion dans le désert de la Guajira en Colombie. Après cette expérience nous pensons sincèrement que pour leur bien et le bien des populations qui les habitent certains endroits devraient rester difficilement accessibles.
La Guajira, c’est quoi ?
Nous avons appris l’existence de la Guajira lorsque nous étions à Medellin. On nous a vanté la beauté et le calme de cette région désertique et hors des sentiers battus.
La Guajira c’est un des 32 départements Colombien, il est situé tout au nord du pays et est frontalier du Venezuela, on y trouve le point le plus septentrional du continent sud-américain : Punta Gallinas.
La Guajira, ce sont des marais salants roses, des plages qui donnent sur des eaux turquoise, des dunes de sables qui se jettent dans la mer des Caraïbes et un désert qui alterne entre les couleurs jaunes, ocres, rouges, marrons, presque blanches par moment.
Enfin, la Guajira c’est la terre des Indiens Wayuu, les fiers habitants historiques de cette région à la culture ancestrale.
Ça vous donne envie d’y aller ? Car nous on quand on nous a présenté la Guajira de cette façon (ce que font aussi les quelques blogs voyage que nous avons pu consulter pour en savoir plus), on a décidé de s’y rendre pour voir ses merveilles de nos propres yeux.
La douche froide
Je peux vous assurer qu’après y avoir passé 3 jours (oui, c’est très peu, mais c’est suffisant pour se faire un avis, croyez-moi), on sait maintenant que certaines régions qui sont difficilement accessibles devraient peut-être le rester, car s’il est possible de s’y rendre en excursion, à quel prix…
Suite à une recommandation nous prenons contact avec une agence pour organiser cette excursion (pour information, nous avons appris par la suite qu’il était possible de d’y rendre difficilement, mais possible quand même par ses propres moyens). L’état des routes (quasiment pas de routes goudronnées, des pistes tout au mieux) fait que nous voyageons en 4*4. On se doutait que nous ne serions pas les seuls et que d’autres touristes seraient de la partie, mais on se rend très vite compte que nous sommes un convoi d’une trentaine de 4*4 (d’agences différentes), qui vont se suivre à la queue leu leu pendant ces 3 jours.
Nous partons de Riohacha, capitale de la Guajira, seule ville qui concentre les (très maigres) richesses de la région. Aux abords des villages que nous traversons nous pouvons voir des déchets plastiques qui s’étendent sur des centaines de mètres, les cactus ne sont presque plus visibles tant ils sont recouverts de sacs plastiques portés par le vent et qui viennent s’empaler sur leurs épines.
La perpétuation d’un système pervers…
Après une grosse heure et demie de route nous arrivons à Uribia, dernière ville reliée par de la route goudronnée, après c’est de la piste. Nous y faisons une halte et notre chauffeur nous explique que si nous voulons acheter de la nourriture pour les Wayuu c’est le dernier endroit où nous pouvons le faire.
Parlons des Wayuu, vous vous souvenez, les autochtones qui sont les habitants historiques de la région ? Ils sont totalement mis de côté par le gouvernement et vivent dans des conditions misérables. La malnutrition, les mauvais traitements, les violences et les viols sont monnaies courantes.
Notre voiture sera arrêtée à de nombreuses reprises par des barrages improvisés où des enfants (parfois accompagnés de femmes) lèvent des chaînes au milieu de la piste pour arrêter les 4*4 qui passent et mendier de l’eau ou des sucreries achetées par les touristes. Terrible vision que de voir au loin ces petites silhouettes se lever et dont le premier réflexe est de tendre la main dès qu’ils aperçoivent un véhicule.
Notre chauffeur ne cache pas son mépris pour les Wayuu, qu’il compare ouvertement à des animaux, on l’entendra dire « C’est l’animal qui se rapproche le plus de l’homme ».
La quintessence du fast-travel
Nous serons littéralement trimballés de spots instagrammables en spots instagrammables au cours de ces 3 jours. C’est millimétré, on arrive, on dispose de 10 minutes pour descendre se dégourdir les jambes et prendre des photos et on repart aussitôt en 4*4 vers le prochain spot. On est dans la consommation immédiate de paysages, de souvenirs, rien n’est expliqué, notre chauffeur parle un argot de la région à une vitesse folle et ne semble pas vouloir articuler un peu plus pour que nous comprenions ce qu’il raconte. Nous sommes littéralement des centaines à nous agglutiner à chaque stop, l’enfer c’est définitivement les autres, surtout quand ils laissent trainer par terre des bouteilles d’eau ou des emballages de gâteaux…
Nous prenons nos repas dans des restaurants aménagés spécialement pour l’occasion, Chaque convive dispose d’un gobelet plastique et d’un choix de boissons (plusieurs sodas, de l’eau) évidemment dans des bouteilles en plastiques elles aussi, on imagine très bien que ces déchets ne seront pas ramenés à Riohacha pour être triés, recyclés ou même incinérés, mais qu’ils iront rejoindre les autres déchets plastiques qui s’accumulent au bord des routes.
Quelques pistes de réflexions
Au final, nous aurons certes vu des paysages à couper le souffle, des nuances de couleurs et de paysages désertiques très riches, mais à quel prix ? Quel est le prix écologique, le prix social pour pouvoir consommer de tels paysages ? Car oui, nous étions dans la consommation immédiate, ce que le tourisme peut avoir de pire en termes d’impact sur une région et sa population. Il nous a fallu cette expérience pour réaliser à quel point ces excursions dans des régions « hors des sentiers battus » n’ont pas de sens.
Suite à cette expérience qui je crois est notre pire souvenir de ces 5 mois passés en Colombie, voici quelques pistes de réflexions :
- Si une région est enclavée et/ou difficile d’accès par des transports publics, peut-être faut-il accepter de ne pas la visiter. Peut-être que certaines régions, pour leur bien, devraient rester inaccessibles et que nous ne devrions pas céder à notre désir de tour voir et notre FOMO, car cela peut entretenir un système qui pollue et qui encourage la mendicité.
- Si vous souhaitez acheter des provisions pour les partager avec les populations locales que vous savez démunies, privilégiez les fruits, les légumes et les denrées qui peuvent se transporter dans des sacs en toile. Évitez les conditionnements en plastique si possible et les sucreries qui ne feront aucun bien aux enfants et à leurs dents.
- Renseignez-vous sur les agences qui proposent des excursions dans ces territoires, sont-elles gérées par des populations locales natives ? Ont-elles à minima des personnes issues de ces ethnies parmi leurs employé.e.s ?
Renseignez-vous sur la possibilité malgré tout de vous y rendre par vos propres moyens, acceptez que vous mettrez plus de temps pour le même trajet et que vous verrez moins de choses.